A 16 ans déjà Vadim lance un crowdfunding pour financer son projet : être le plus jeune à faire l’ascension d’un 8000 m dans le style le plus pur. Le seul qui vaille à ses yeux. Mais l’opération ne lui rapporte que 500 euros, le projet devra attendre. Deux ans plus tard, le Haut-Savoyard a toujours la passion de l’alpinisme rivée au corps. Et un 8000 en ligne de mire. Invité ce week-end au salon Expérience Montagne, à Paris, il intervient dans deux conférences. Plus motivé que jamais.
« Ce qui m’aurait le plus plu, c’est de gravir des sommets que personne n’avait atteints avant moi, mais maintenant ce n’est presque plus possible ! C’est pour cela que j’aimerais être le plus jeune à faire un 8000 m sans oxygène. », expliquait en juin 2018 Vadim Druelle à la presse régionale. Il n’avait alors que 16 ans et son objectif s’appelait Cho Oyu, 8201 m. Le 6ème plus haut sommet du monde, dans l’Himalaya.
L’ambition peut faire sourire. Ou éveiller la curiosité. Surtout quand on sait que le lycéen, qui vient tout juste de décrocher son bac Pro en métallerie, a réussi à convaincre le salon Expérience Montagne de l’inviter à participer à deux conférences ce week-end, Porte de Versailles. Pour présenter un petit film dressant son portrait, samedi à 14h. Et discuter, dimanche 16h, de l’évolution de l’alpinisme avec quelques pointures, et non des moindres : Catherine Destivelle et Paul Allain (première expédition française dans l’Himalaya) sans compter le spécialiste de l’histoire de l’alpinisme, Gilles Modica. Pas mal pour un garçon qui se dit timide, et qui n’a aucun réseau.
Son secret ? Un étonnant mélange de sincérité, de ténacité et d’une certaine naïveté plutôt touchante. Et surtout un immense amour pour la montagne, comme en témoigne l’interview qu’il nous a accordée à la veille de l’ouverture du salon.
Pourquoi te fixer sur un 8000 m, sans oxygène ?
Je sais, mon objectif n’est pas toujours bien compris. On me dit de prendre le temps. Mais je cherche un challenge. J’aimerais faire les 14 sommets de plus de 8000 m. Mais pas comme Nims Dai, ce n’est pas assez « montagne ». Sans oxygène, c’est plus pur, mon père est à cheval sur ça. C’est plus dur aussi pour quelqu’un de jeune comme moi, mais justement, ça ajoute au challenge. Si je ne réussis pas, tant pis. Mais je verrai où je peux aller ! J’aime vraiment la montagne, je m’y sens bien.
Comment t’est venu ce goût pour la montagne ?
J’ai appris avec mon père, lors de longs treks en autonomie. Depuis tout petit, je pars en rando avec mes parents. A 4 ans, aux Canaries, j’ai grimpé jusqu’à 3700 m, depuis le niveau de la mer. Au début, j’avoue que je n’aimais pas tellement ça. C’était un peu long, mais j’étais passionné par les pierres, les minéraux, les fossiles, j’en cherchais en chemin. Ça m’a conduit à faire plus de marche.
Tu sembles avoir abandonné l’idée de grimper le Cho Oyu, pourquoi ?
Le Cho Oyu, c’était mon projet d’il y a un an. Mais il est très cher, autour de 15 000 euros, et je n’ai pas trouvé le financement. J’ai pensé au Manaslu (8163 m), au Népal. Beaucoup de mes amis l’ont fait. J’ai fait plein de recherches sur les agences de voyage, il est accessible pour 10 000 euros environ.
Je veux le faire par la voie normale, par la face nord est. Il n’est pas forcément facile, très enneigé, ce qui complique l’ascension. Mais le sommet reste assez abordable, pas très difficile techniquement. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir plusieurs camps à monter. Là, j’en aurais 4.
Selon mon budget, l’agence m’accompagnera, à minima, jusqu’au camp de base. Après, je monterai en autonomie. A moins que je ne rencontre un compagnon de cordée. Mais jusqu’à présent, je n’en n’ai pas trouvé. Sur des 6 000 m, mon père m’a bien accompagné, au Chili et ma mère en Iran, mais la haute altitude ne les intéresse pas, et puis c’est assez cher.
Si tout va bien, je ferai mon ascension au printemps 2020. A 18 ans ( Vadim est né en décembre), je serai le plus jeune à avoir réalisé ce 8 000. Pas forcément important pour moi, mais je pense que ça peut intéresser les sponsors. Et m’aider à financer mes expéditions suivantes.
Mais mon rêve, reste le Cho Oyu par la face sud. Toutes les nuits ça me démange de la grimper, c’est la plus sauvage.
Les exploits de jeunes, voire de très jeunes se sont multipliés ces derniers mois. Notamment en escalade, aux États-Unis. Qu’en penses-tu ?
A ces âges-là, 9 ans, 10 ans, c’est bien trop tôt. Ça ne sert à rien. Et puis ce n’est pas toujours l’envie des enfants mais celle des parents. Dans mon cas … ça serait plutôt le contraire !
Quelle est ton expérience de l’altitude ?
J’ai fait L’Ojo del Salado, au Chili, 6893 m, avec mon père. Mais je n’ai pas pu monter au sommet. On était en autonomie complète, plutôt chargé et on était trop fatigué. Je me suis aussi gelé les yeux, j’ai préféré descendre. Quand j’ai gravi le Damavant (5610 m) en Iran, avec ma mère, je n’avais que trois jours, pour des questions de visa. Je n’étais pas bien acclimaté et j’ai eu un gros mal de crane à 5200 m. Mais dans l’ensemble, je supporte assez bien l’altitude, si je suis bien acclimaté. Et je suis aussi suivi au Centre de Médecine du Sport de Haut Niveau d’Alberville.
Comment comptes-tu financer ton projet ?
Le crowdfunding n’a pas trop marché l’année dernière, là, je mise sur les sponsors. La présentation de mon film et les conférences à Expérience Montagne devraient m’y aider.
A l’époque, je recherchais 12 000 euros, là, je n’ai besoin que de 10 000. J’ai déjà trouvé l’agence, Seven summit treks. Mais si je n’obtiens pas de soutien, je mettrai l’argent que j’ai gagné. En ce moment je travaille comme tailleur de pierres.
Et pour l’équipement, comment vas-tu t’organiser ?
Je suis encore en recherche. On m’en avait prêté pour le Chili. Mais il me faudra aussi les tentes, c’est encore un problème.
Quelle est ton expérience en matière d’alpinisme?
J’ai fait le Damavand, le Mont-Blanc, les Courtes, le Bivouac des Périades, l’Arête des Cosmiques, le Dôme du Goûter, le Col du Passon, trois fois la Morzinoize dont une fois en solo. Entre autres.
Comment t’entraines-tu dans la perspective de ton projet ?
L’été, je fais beaucoup de trails, mais pas forcément en compétition. Je fais aussi de l’escalade et aussi du ski alpinisme. J’ai terminé 6e sur la Pierra Menta. Je m’entraîne tous les jours. Pas de muscu mais beaucoup de gainage, d’étirements. Je n’ai pas de coach, je fais tout, tout seul. J’ai plus d’endurance que de technique. En grimpe et escalade pure je ne suis pas forcément très fort, je n’avais beaucoup de temps avec l’école. Maintenant, je vais pouvoir m’y consacrer plus à fond.
Quels sont les alpinistes qui t’inspirent ?
Ueli Steck. Je l’ai rencontré en 2013, à Cham … sur un parking. J’ai couru vers sa voiture, je devais avoir 12 ou 13 ans. Il m’a offert, et signé, sa carte de l’Annapurna, qu’il venait de faire. J’aimais bien sa mentalité. Il était super gentil, un peu timide. Je serais assez comme ça.
Dimanche, tu vas rencontrer Catherine Destivelle, que représente-t-elle pour toi ? Quelles questions aimerais-tu lui poser ?
Il y a 15 à 20 ans, c’était super rare une femme à ce niveau-là. Ce qui m’impressionne, c’est qu’elle a fait de sacrés choses. Mais, quand tu la vois … elle n’est pas une grosse brute (rires).
J’aimerais savoir, ce qu’elle, elle cherche en montagne. Pourquoi elle fait ces ascensions. Et aussi obtenir ses conseils sur des sommets que j’aimerais faire, comme le K2 par exemple ou l’interroger sur l’acclimatation.
Et toi, dans dix ans, tu te vois comment?
J’ai une formation en métallerie. La coutellerie m’intéresse, mais j’aimerais être guide de haute montagne. Je ne me vois pas autrement. En montagne, quand on y arrive, ça donne confiance pour la vie.