Le 26 juin dernier, Jennelle Eliana publiait une première vidéo de son quotidien dans son van, où elle vit depuis deux ans avec un serpent blanc nommé Alfredo. Deux mois et demi plus tard, elle a déjà près de 2 millions d’abonnés à sa chaîne YouTube, avec seulement six vidéos postées. Comment la jeune femme de 21 ans a-t-elle fait pour exploser ? Décryptage.
Sur le papier, en dehors de son animal de compagnie un peu spécial, l’Américaine Jennelle Eliana n’a rien de particulièrement original : à 21 ans, elle vit seule dans son van, en Californie. Pourtant, elle est devenue une star de YouTube du jour au lendemain. Entre l’ouverture de sa chaîne lors de son premier post le 26 juin et la mise en ligne de sa seconde vidéo le 11 juillet, elle avait déjà gagné plus d’1,3 million d’abonnés. D’ici fin septembre, elle devrait avoir dépassé les 2 millions. Sa chaîne YouTube est celle qui a recruté le plus d’abonnés aux États-Unis en juillet, alors même qu’elle n’avait posté que trois vidéos.
Sachant que la plupart des youtubeurs mettent environ un an à acquérir une audience, l’arrivée foudroyante de Jennelle est fascinante. Comment une fille normale vivant dans un van vaguement instagrammable a-t-elle pu réaliser ce coup de force ? Dans les premiers temps, certains ont crié au complot et à la triche, avant d’admettre que ça n’était pas le cas.
Jennelle Eliana n’était pas particulièrement en quête de gloire. Après une adolescence passée à Sacramento, en Californie. Fin 2016, elle commence à travailler pour une entreprise de la Silicon Valley. Elle s’installe en colocation et paye 900 dollars de loyer par mois, pour un endroit où elle ne fait pas grand chose à part dormir. Elle commence alors à s’intéresser aux modes de vies durables (ou presque…cf. notre article « Vanlife, un mode de vie moins durable qu’il n’y paraît »), notamment en passant des heures à regarder des vidéos de vanlifers sur Youtube. En juillet 2017, sa décision est prise, elle s’achète un van GMC Vandura Explorer de 1995. Pendant plus d’un mois, elle aménage son futur nid selon ses goûts et ses besoins. Pour faire court, Jennelle a à peu près tout arraché et refait, notamment l’isolation du sol. Elle a également installé un évier et construit elle-même le terrarium qui abrite son serpent blanc, Alfredo. En janvier 2018, elle est prête. Bye bye appartement.
Côté pratique
Son évier ne lui sert qu’à se brosser les dents et se laver le visage. Elle actionne l’eau grâce à une pompe manuelle qui est connectée à une gourde de 2 litres. Pour le reste de ses besoins en eau, elle utilise un tank de 25 litres qu’elle remplit d’eau potable.
Jennelle a investi dans une glacière électrique Dometic CFX, où elle conserve ses snacks (et ses bananes pourries apparemment), car elle s’alimente à 99% dehors. « Je peux me le permettre vu que je ne paye plus de loyer », explique-t-elle dans sa première vidéo. Elle a également mis des points de Velcro autour des vitres, qui lui permettent de coller des panneaux d’isolation la nuit, la préservant de la lumière et permettant de conserver une température optimale à l’intérieur. Ses vêtements sont rangés dans un coffre et ses paires de chaussures dans un panier. Une petite table pliante est glissée derrière le siège passager et lui permet de dîner et de travailler quand nécessaire.
Si Jennelle vit en nomade depuis deux ans, elle a conservé son travail de 9 heures à 17 heures dans une entreprise de snacking pour sportifs au cœur de la Silicon Valley. Jusqu’à juin dernier, elle se contentait de documenter ses aventures sur son compte Instagram ( qui est passé de 13 000 followers en juillet à plus de 330 000 aujourd’hui). Puis tout a basculé.
La magie de l’algorithme
« Yo les gens, voici mon berceau, a-t-elle écrit sous sa vidéo postée le 26 juin. J’ai 20 ans et je vis dans ce van réaménagé GMC Vandura Explorer de 1995 depuis un bout de temps. Je suis trop contente d’être enfin sur YouTube. Préparez-vous pour des aventures dingues et d’autres pas si dingues ». Le succès a été immédiat. Le million d’abonnés a été dépassé le premier mois avec seulement deux vidéos, et elle en a posté quatre supplémentaires depuis, où elle explique comment elle se nourrit, comment elle se douche, ou encore pourquoi elle a choisi cette vie en van. Dans cette dernière vidéo, elle répond aussi avec humour aux accusation de fake ou de manipulation : « J’en ai bavé pour faire de cette vie ma réalité, et les gens qui affirment que je ne vis pas dans mon van parce qu’il est trop propre ou que je suis trop jolie sont tout simplement ridicules. Mais merci d’avoir remarqué que je me donne du mal pour que ce soit propre ! ». Et à chaque nouvel upload, sa communauté s’agrandit.
L’algorithme de recommandation YouTube est un outil puissant, et la trajectoire Jennelle est exponentielle parce que ses vidéos sont à la confluence de tout ce qui marche en ce moment sur la plateforme. Et plus les gens regardent, commentent et likent, plus YouTube diffuse ses contenus…
Femme, écolo, vanlife : le trio gagnant
L’un des ses premiers points fort tient au fait qu’elle coche la case très en vogue des « Solo female travelers » (Voyageuse solo), une catégorie qui a explosé cette année sur YouTube. Depuis 2016, les contenus postés dans la catégorie « Solo travel » ont augmenté de 80% par an, avec un record en 2019. Et dans le top 100 des vidéos les plus regardées avec « Solo travel » dans le titre, plus de 70% ont été postées par des femmes.
Il y a également un intérêt grandissant, non seulement pour les récits de voyage de femmes seules, mais aussi pour ceux des femmes de couleur. La majorité des vidéos populaires de voyageuses solo sur YouTube est issue de la communauté Vanlife, avec des uploads de vidéos ayant été multipliés par 4,5 depuis 2017, selon YouTube.
Ensuite, les vidéos de Jennelle sont fraîches, sans chichi, pas toujours bien tournées, et bien qu’elle se classe parfaitement dans la catégories des vanlifers, elles sont aussi une proposition un peu différentes des contenus ultra-léchés produits ces derniers temps par les représentants les plus connus de la catégorie. Elle ne possède aucun équipement particulier, elle filme et monte sur son iPhone, elle n’a pas le Wifi dans son van, elle met du temps à poster des vidéos, bref, elle est old school. « La plupart des vidéos vanlife sont cinégéniques, les gens ont des vans qui coûtent cher et fréquentent des destinations de luxe, explique Jennelle. J’essaye d’être aussi transparente que je le peux sur ma vie. Je ne fais pas de voyages cool, j’ai un vieux van pas cher que j’ai essayé d’améliorer autant que faire se peut ».
La jeune femme ne cache pas qu’elle est une grande fan de la communauté vanlife : elle a passé de nombreuses heures de sa vie d’ado à regarder des vidéos de couple de millenials ayant lâché leurs jobs pour partir à la découverte du monde. Mais pour elle, ce mode de vie ne tient pas tant au voyage qu’au fait de ne pas payer de loyer et de ne pas se plier immédiatement et entièrement au monde du travail à peine diplômée. 80% de ses abonnés sont d’ailleurs des femmes entre 18 et 24 ans, à qui la chaîne de Jennelle propose une alternative de vie accessible.
La sensibilité écologique est un autre atout dans la manche de Jennelle Eliana. Elle ne s’habille qu’en friperie, revend ses vêtements, utilise des sacs recyclables… Autant d’intérêts qui fonctionnent très bien avec les algorithmes de YouTube. Les uploads de vidéos s’intéressant aux modes de vie durables ont ainsi doublé cette année selon YouTube.
Le mois dernier, Jennelle a finalement quitté son travail et décidé de tout miser sur YouTube. Si l’on se fie à SocialBlade, une plateforme d’outils d’analyse YouTube, elle pourrait gagner près de 30 000 euros par mois via la pub. La jeune femme explique aussi être prête à nouer des partenariats avec des marques proche de sa philosophie de vie pour leur proposer du brand content. Si elle n’avait jamais envisagé de devenir une star YouTube, elle est néanmoins capable d’y reconnaître une opportunité exceptionnelle. Elle prévoit plusieurs voyages vers différents parcs nationaux américains cet automne, le temps de se faire à sa nouvelle célébrité. « J’avoue que je n’ai pas de mots, je ne réalise toujours pas ».
Photo d'en-tête : Jennelle Eliana/YouTube- Thèmes :
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