C’est un tabou dans le monde de la course au large : les collisions entre voiliers et cétacés. Longtemps passées sous silence, elles sont aujourd’hui au cœur des réflexions de la classe IMOCA, ces monocoques de 18 mètres qui vont s’élancer sur le Vendée Globe le 10 novembre, qui multiplie les recherches dans le but d’élaborer de nouvelles stratégies pour réduire les risques et protéger la faune marine.
Dans le jargon de la course au large, on les appelle les OFNI (objets flottants non-identifiés). Ces derniers sont responsables de nombreux abandons dans l’histoire de la course au large. Des bouées égarées, des containers et, trop souvent malheureusement, des cétacés. A quelques jours du départ du Vendée Globe, ce sujet est au cœur d’une vive polémique lancée sur les réseaux sociaux à la suite d’un reportage diffusé sur France 3 où l’on entend Antoine Mermod, le président de la classe Imoca, maladroitement assimiler un cétacé et un container, les rangeant dans la case statistique d’« impacts ». Ce qui a suscité un grand nombre de débats, relayés notamment par Stan Thuret, un ancien skipper ayant décidé d’arrêter la course au large pour des raisons écologiques, et Sea Seapherd France.
« À quand un changement des mentalités dans le monde de la course au large ? » interrogeait l’ONG sur X (anciennement Twitter). « À quand une reconnexion avec le monde marin, plutôt qu’une obsession de la vitesse où les cétacés ne sont que des ‘obstacles’, des ‘dommages collatéraux’ ? On ne veut pas de cette course-là ». Le débat est passionné, et plus que jamais d’actualité. Mais certains dans l’univers de la navigation tentent d’apporter des éléments de réponse, sans doute encore insuffisants, mais qu’on ne peut ignorer. En témoigne Claire Vayer, co-responsable du développement durable au sein de la classe IMOCA, qui se bat depuis plusieurs années afin d’essayer de mettre en place des solutions visant à protéger la faune marine.
Merci @StanThuret qui a quitté la course à la voile, justement pour dénoncer cette mentalité irrespectueuse envers les habitants de l’océan dont on a une affligeante démonstration dans cette vidéo avec le président de la classe @ImocaGS. À quand un changement des mentalités dans… pic.twitter.com/lm831Ria47
— Sea Shepherd France (@SeaShepherdFran) November 4, 2024
À partir de quand avez-vous commencé à intégrer le sujet des collisions avec des cétacés dans votre travail ?
En 2021, juste après le dernier Vendée Globe. On fait cela via le prisme technologique. Puisque c’est ce qui fait partie de l’ADN d’une classe de bateaux : développer de nouvelles technologies pour évoluer. Donc en 2021, on a publié un appel à manifestation d’intérêt, en collaboration avec le pôle mer Atlantique-Bretagne. L’idée ? Trouver des solutions au sens large. Sachant que sur le dernier Vendée Globe en 2020, un certain nombre de bateaux avaient commencé à s’équiper de solutions de manière isolée, comme des répulsifs acoustiques ou encore la caméra Oscar, une caméra thermique-optique, qui en était à ses débuts.
À la suite de cette initiative, on s’est rendu compte qu’il n’existait aucune solution toute faite, qu’il allait plutôt falloir partir dans une dynamique de recherche et développement, et que ça allait prendre du temps. […] L’objectif du projet a ensuite été de développer un produit qui permette de faire de la fusion de données issues de plusieurs capteurs sur le bateau. Puis de proposer une solution d’évitement automatique d’une cible au sens large, via le pilote automatique.
Les collisions ont-elles uniquement lieu avec des cétacés ?
Il faut se remettre un peu dans le contexte d’un bateau en mer. Tout un ensemble de paramètres rendent très difficile l’identification de ce qu’il se passe autour : les lumières du voilier, les mouvements de vagues, de la mousse, la nuit, la fatigue. Donc, non, aujourd’hui les collisions n’ont pas uniquement lieu avec des cétacés. Mais aussi avec des poissons-lunes par exemple, avec des requins ou d’autres types d’espèces. […] Sachant cela, on essaie de trouver des solutions adaptées aux différentes problématiques. Parce qu’on ne va pas réagir de la même manière pour détecter un gros mammifère ou un requin par exemple.
Par exemple, si on utilise de l’acoustique, les prismes de réceptivité des animaux sont différents selon les types de baleines, selon leur vitesse de déplacement, etc. C’est quasiment du cas par cas, en fait. […] On a mis au point le Hazard Reporting System, une sorte de bouton d’alerte intégré au logiciel de routage des marins pour pouvoir, en cas de rencontre, de collision, d’observation avec un mammifère ou un autre animal ou un autre risque de collision, alerter l’ensemble de la flotte, mais aussi la direction de course, sur un risque. Tout en permettant de collecter de la donnée dans une base de données globale.
Les collisions concerneraient donc l’ensemble des embarcations, et pas uniquement les navires de course au large ?
La seule différence avec les bateaux de course, c’est que l’on ne s’en rend compte. Mais c’est un peu la phase émergée de l’iceberg, puisque dans le domaine du shipping, les collisions sont très peu recensées. Car les bateaux sont tellement puissants et tellement gros qu’on ne se rend pas compte de ces collisions. […] Mais attention, l’idée, ce n’est pas d’opposer les secteurs. On travaille avec les autres industries du domaine du maritime pour trouver des solutions communes. […]
Dans ce sens-là, on a donc créé un collectif rassemblant tous les acteurs de la Course au large, [à l’initiative de la Classe IMOCA, ndlr] : le Marine Mammal Advisory Group. L’idée, c’était de dire qu’il n’existe pas une solution, mais un ensemble de solutions portées par un ensemble d’acteurs. Et c’est cette dynamique collective qui va permettre à chacun de prendre ses responsabilités et de réduire le risque. Sachant que le risque zéro n’existera jamais, c’est comme sur la route. Mais c’est en multipliant les solutions, qu’on va pouvoir ensemble agir collectivement pour le diminuer.
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