En juillet 2019, une Biélorusse a trouvé la mort alors qu’elle était partie, avec son mari, à la recherche du fameux magic bus de « Into the Wild ». Depuis la publication du récit de Jon Krakauer dans Outside, puis son adaptation en livre (1996) et en film (2007), plusieurs accidents similaires ont déjà été constatés. Au point qu’aujourd’hui l’Alaska vient de le déplacer en un lieu sûr, tenu secret.
Sans doute l’un des bus les plus célèbres de l’histoire du cinéma, le dernier abri de l’aventurier Christopher McCandless attirait tant de touristes du monde entier ces dernières années, qu’il a été déplacé quelque part au fin fond de l’Alaska. Les photos diffusées sur Facebook hier montrent le bus transporté via un hélicoptère Chinook, puis chargé sur une longue remorque à plateau avant son installation vers un lieu inconnu. « Alaska Public Radio » rapporte que cette opération est le fruit de la collaboration entre les départements des transports, des ressources naturelles et des affaires militaires, à la demande du district du Denali, zone sauvage située au centre de l’Alaska, où culmine à 6 190 m le mont du même nom, plus haute montagne d’Amérique du Nord.
On se souvient de l’histoire de Christopher McCandless, le héros malheureux de « Death of an Innocent », article de Jon Krakauer paru dans le numéro d’Outside de janvier 1993. Celui-ci retrace l’histoire de cet étudiant, tout juste diplômé de l’Université d’Emory, qui décide de tout plaquer pour partir vivre la vie sauvage au fin fond de l’Alaska. Il meurt une centaine de jours après le début de son périple, des suites probables d’une intoxication alimentaire. Trois ans plus tard, ce drame a donné lieu à un livre, « Into the wild », écrit par le journaliste d’Outside, à l’origine de l’enquête. Il sera adapté au cinéma par Sean Penn en 2007.
Christopher McCandless avait donc réellement occupé le bus, situé à l’extérieur de la ville de Healy près de la limite du parc national de Denali, au cours du printemps et de l’été 1990. C’est là également qu’il y a trouvé la mort à la mi-août de cet année-là.
Le bus avait été abandonné au début des années 1960 le long de la piste du Stampede, une route difficile menant à une mine aujourd’hui disparue. Au fil du temps, il était devenu populaire auprès des chasseurs et des trappeurs qui s’y abritaient en automne et en hiver. L’été, personne ne l’avait vraiment occupé, avant l’arrivée de McCandless.
Mais la publication du livre Jon Krakauer a tout changé. Dans une sorte de pèlerinage, des randonneurs, souvent inspirés par Christopher McCandless, parti mener une vie d’aventurier, ont commencé à se lancer à la recherche du bus. Et lorsque la version cinématographique de « Into the Wild » est sortie en 2007, leur nombre a considérablement augmenté. « Nous n’avons pas vraiment ressenti l’impact du bus avant la sortie du film », explique Rusty Lasell, alors chef du service des pompiers volontaires de Tri-Valley à Healy, rencontré en 2013. Mais lorsque ça a commencé, c’est allé très vite. Et très fort. En septembre de cette année-là, il avait déjà supervisé le sauvetage d’une douzaine de randonneurs partis en quête du bus au cours de ce seul été. La plupart d’entre eux s’étaient retrouvés coincés du mauvais côté de la Teklanika, une rivière rapide et totalement imprévisible.
C’est la Teklanika qui rend la marche de plus de 30 km vers le bus si pénible. C’est aussi l’obstacle qui a empêché McCandless de marcher jusqu’à l’autoroute quand il a commencé à mourir de faim. Glacée, rapide, elle peut monter rapidement, bloquant les randonneurs sur la rive où se trouve le bus. Ou pire, les balayant dans ses flots furieux.
La première randonneuse à mourir sur le chemin du bus est une jeune femme qui s’est noyée en 2010. La seconde, une jeune mariée de 24 ans, est morte l’été dernier. Des drames qui ont ému la population locale qui, depuis 2007, pensait déjà à déplacer ce lieu de pèlerinage pour éviter plus d’accidents mortels. Certains n’hésitant pas à suggérer de le faire exploser s’il n’était pas évacué par avion. Plus nuancés, ou plus réalistes, certains pensaient que l’enlever n’arrêterait pas les randonneurs, et qu’ils continueraient à venir de toute façon. Maintenant que le bus a été déplacé, l’avenir dira s’ils avaient raison.
Trente ans après la mort de Christopher McCandless, les exigences de sécurité justifient sans doute cette intervention pour le moins radicale, mais savoir que ce chapitre est définitivement clos laisse un goût un peu étrange. Un sentiment sans doute partagé par certains des opposants au bus les plus virulents, ceux-là même qui considéraient le bus et les randonneurs comme une nuisance ou pire, comme une menace. Jusqu’au maire du district de Denali, Clay Walker, qui a déclaré à la radio publique de l’Alaska : « Je sais que c’est ce qu’il fallait faire pour la sécurité publique… En même temps, c’est toujours un peu troublant quand un morceau de votre histoire est retiré ».
Pour les nostalgiques, notez que la réplique exacte du bus original, construite pour les besoins du film de Sean Penn, se trouve toujours à Healy, devant un bar. Vous pourrez vous y arrêter et y prendre un verre sans avoir à emprunter le périlleux sentier de Christopher McCandless.
Photo d'en-tête : The Hill