Fin août 2021, lorsque Kaboul tombe aux mains des Talibans, les membres de l’équipe nationale afghane de snowboard sont menacés de mort – leur sport est interdit par les fondamentalistes islamistes. Contacté par le directeur de la fédération afghane, Victor Daviet, snowboarder pro, réussit après de longs mois d’acharnement à faire extrader ces jeunes. Avec son association, « Snowboarders Of Solidarity », il est parvenu à les aider à reconstruire leur vie. C’est le témoignage de deux d’entre eux, Musawer et Nasima, aujourd’hui réfugiés en France, ainsi que celui d’un surfeur afghan, Afridun, lui aussi banni de son pays, que nous fait découvrir Arte dans « Les riders d’Afghanistan », un reportage de 17 minutes.
« Quand tu as quatorze personnes qui te disent : ‘Là, il faut que tu nous aides, c’est une question de vie ou de mort’ […] tu mets ta vie en suspens, tu te concentres sur cette mission qui t’a été donnée, même si tu n’as aucune expérience », nous racontait Victor Daviet en janvier 2022. « Dans ta journée, le petit run ou le magnifique coucher de soleil n’ont plus aucun sens par rapport à la gravité de la situation. J’étais focalisé là-dessus, je n’arrivais plus à apprécier quoi que ce soit d’autre ».
Pour lui, tout commence le 20 janvier. Avec l’association Zom Connection, Victor Daviet se rend au Pakistan pour enseigner aux enfants à skier – mais surtout à maîtriser les gestes de secours en cas d’avalanche. À Malam Jaba, l’une des deux stations du pays où se déroulait une compétition internationale de snowboard, il rencontre les membres de l’équipe afghane. Très vite le courant passe. Et des plans s’échafaudent. « C’était prévu pour cet hiver (2022, ndlr), dans le cadre de ma websérie « Trip Roulette », mixant de l’aventure, du snowboard et de l’écologie. On avait commencé à organiser le voyage… jusqu’au moment où les Talibans sont arrivés au pouvoir à la mi-août ». Tout s’effondre alors.
Victor est en vacances à Paris quand il reçoit un appel du directeur de la fédération afghane. « Il m’a dit que j’étais la personne la plus proche d’eux en Occident, qu’ils venaient de recevoir des menaces de mort de la part des Talibans. Ils me demandaient de les aider à sortir du pays. Je n’avais pas d’autre option que de soutenir ces jeunes avec qui j’avais fait du snowboard.
A l’époque, c’est la ruée sur les quelques avions qui décollent de Kaboul. A force de ténacité, Victor parviendra à faire sortir quatorze snowboarders qui, après de nombreuses péripéties, trouvent refuge un peu partout dans le monde. Sept d’entre eux arriveront à Annecy. Six y sont encore, le 7e ayant rejoint des proches en Allemagne, nous raconte Victor Daviet.
Comment vont-ils aujourd’hui ?
Les six ont été pris en charge pas notre association Snowboarders Of Solidarity (créée avec Jérôme Tanon et Laurent Pordié, ndlr). Ils s’en sortent bien, on est fiers d’eux. Et on essaie de leur rendre la vie la plus belle possible. Ils ont finalement obtenu un titre de séjour de dix ans et ils apprennent le français. Certains sont déjà presque bilingues, ils ont vite compris que c’était important. Tous travaillent. Et ça, c’est grâce à la communauté de la montagne. On a pu compter sur le soutien de très belles personnes. On a eu énormément d’aide pour leur trouver un logement et un emploi. Quatre travaillent dans un restaurant de burgers, une dans une galerie d’art et un autre dans la Petite Cantine d’Ernestine (un restaurant, ndlr). Ça n’a pas été facile, mais il faut savoir que les média ont joué un rôle très important pour débloquer leurs dossiers. Ça les a vraiment aidés.
Leur histoire a été effectivement assez médiatisée, leurs familles sont-elles menacées ?
Non, pas à notre connaissance. Au début, nous étions très prudents avec les réseaux sociaux et nous évitions de trop poster. Mais en fait le régime taliban est peu organisé. Les Talibans ont peu accès à la technologie.
Ils continuent à pratiquer le snow ? Quel est leur niveau aujourd’hui ?
Il faut savoir que la plupart partaient de loin. Il y a un an, certains faisaient leur première descente à Avoriaz. A la 3e, ils m’ont dit qu’ils avaient plus appris là qu’en une année en Afghanistan où il était très compliqué pour eux de rider. Le film d’Arte a été tourné dans la station, en décembre dernier. On voit que leur niveau n’est pas comparable bien sûr au niveau alpin. Mais ils ont bien progressé et ils ont pris goût à la poudreuse et au snow park.
Au début, leur priorité, c’était sauver leur peau et tout mettre en œuvre pour se créer une nouvelle vie. Ils voulaient aussi travailler le plus tôt possible pour pouvoir aider financièrement leur famille restée là-bas. Maintenant, ils peuvent envisager à nouveau de reprendre leurs études, de se projeter dans l’avenir. L’un d’entre eux veut étudier l’informatique, trois le business et le marketing et une faire une école d’art. Ils sont en train de passer tous les diplômes pour valider leur niveau de français. Les choses se mettent en place, ils peuvent enfin envisager de profiter de leur passion, le snow.
Ta vie aussi a été complètement bouleversée par leur arrivée…
Carrément ! Je suis passé de zéro enfant à sept en 24 heures. Maintenant, ça commence à rouler, mais ça m’a pris beaucoup de temps. Aujourd’hui, ils sont comme des membres de ma famille. Ça m’est tombé dessus à 32 ans. Que ça m’arrive, et que ça marche… les chances étaient minimes. À un moment, même eux avaient perdu l’espoir et étaient sur le point de retourner en Afghanistan car rien ne se débloquaient pour eux en France. Avec l’association et les fonds réunis grâce à notre opération de crowdfunding, nous avons réussi à les nourrir et à la loger pendant un an, mais on arrivait aussi à nos limites. Et puis, tout s’est débloqué. C’est l’histoire la plus forte que j’aie vécue. Et ça, c’est grâce au snowboard !
Photo d'en-tête : Jérome Tanon