Si l’info a été très partagée sur les réseaux sociaux ces derniers jours, peu de journaux ont repris à leur compte une étude scientifique rapportant la découverte de virus inconnus dans des carottes de glace forées dans l’Himalaya et qui pourraient nous menacer en cas d’emballement du réchauffement climatique. Faut-il accorder du crédit à ces recherches, et si oui, que disent-elles réellement ?
Quand on a vu que les gens commençaient à réagir comme ça sur Twitter :
On s’est dit qu’il était peut-être temps de se pencher sur cette histoire de virus himalayens qui allaient tous nous tuer.
La plupart des échanges sur le sujet se basent sur le tweet d’un compte baptisé « La Plume Libre », journal qui affirme avoir pour but « de proposer une analyse de l’actualité loin des affres de la production d’informations en flux tendus et d’incarner le libre débat d’idée. Notre ligne éditoriale est simple : nous n’en avons pas », peut-on lire sur leur site internet. Soit. Et la source ?
La Plume Libre s’est basée sur un article publié le 13 janvier sur le site américain de Vice. La journaliste Maddie Bender y rapporte qu’en 2015 une équipe de scientifiques américains et chinois a prélevé des échantillons à 50 mètres de profondeur sur un glacier des hauts plateaux tibétains pour les analyser. Cinq ans plus tard, ils publient leurs résultats, postés en ligne le 7 janvier sur le site BioRxiv, dans une pré-édition mise à disposition du grand public (ce qui signifie que l’étude n’a pas encore fait l’objet d’une peer review mais garantit le sérieux de ses auteurs).
Les virus conservés dans la glace sont particulièrement compliqués à extraire et étudier car très facilement contaminés par des éléments extérieurs. Les scientifiques sino-américains ont donc suivi un protocole minutieux pour empêcher toute contamination contemporaine de leurs échantillons vieux de 520 à 15 000 ans, précisant même, relate Vice, avoir, entre autres, « lavé la glace deux fois, d’abord avec de l’éthanol, puis avec de l’eau. »
Ces précautions prises, les chercheurs ont utilisé des techniques de microbiologie pour décrypter le reste de l’information génétique figée dans les carottes du glacier. Ils ont trouvé des profils appartenant à 33 groupes différents de virus, dont 28 étaient totalement inconnus jusque-là de la science.
Résurgence virale et archives envolées
Jusque-là, rien de surprenant, l’humanité étant loin d’avoir répertorié tous les virus existants, et l’on savait déjà que la fonte du permafrost (la couche de terre, de roche ou de sédiments gelée qui recouvre aujourd’hui environ un quart de l’hémisphère Nord) présentait entre autres une menace sanitaire, en relâchant des virus depuis longtemps disparus. En 2016, la Sibérie a ainsi été victime d’une épidémie d’anthrax, une maladie qui avait disparu depuis 75 ans dans la région. En un mois, elle a tué plusieurs milliers de rennes ainsi qu’un petit garçon, et plusieurs dizaines de personnes ont été hospitalisées. En cause, un permasol non gelé, qui a libéré la bactérie Bacillius anthracis, une infection aiguë qui touche aussi bien l’animal que l’homme.
Pas de panique pour autant. En 2014, un virus géant vieux de 30 000 ans découvert dans le sol sibérien avait été réactivé par une équipe de chercheurs franco-russes, avec une conclusion rassurante : mis en présence de cellules humaines, ce dernier s’était montré incapable de les infecter. Et il en va ainsi pour la grande majorité des virus. Si la résurgence de certains considérés aujourd’hui comme éradiqués, comme celui de la variole par exemple, n’est désormais plus du domaine de la science-fiction, la menace viendra a priori plus du dégel du permafrost que de carottes forées à 50 mètres de profondeur à des milliers de mètres d’altitude.
Enfin, la fonte des glaces – où qu’elles se situent – signifie avant tout la disparition d’archives virales et microbiennes irremplaçables pour les scientifiques. Limiter notre connaissance du monde des virus aux seuls pathogènes serait une erreur, l’étude de ces derniers nous apportant des éléments capitaux sur l’origine même de la vie et l’émergence de la biodiversité sur notre planète.
Photo d'en-tête : Simon Steinberger