2013, 2015 et 2018… trois fois il a gagné l’UTMB, une course qu’il aime comme aucune autre. Entre le Jurassien et la course reine du « Sommet mondial du trail » organisée cette semaine à Chamonix, c’est une histoire d’amour, pavée d’énormément d’émotions. A la veille du départ de cette épreuve, à laquelle il a dû renoncer in extremis pour des raisons de santé, Xavier Thévenard a bien voulu revenir sur ce parcours dont il connait chaque pierre, chaque single, chaque lever de soleil ou de lune.
« Le petit prince de Chamonix », un surnom que le public de Chamonix a donné à Xavier Thévenard et qui lui colle à la peau alors même que par trois fois maintenant il a été sacré roi de l’UTMB, rejoignant ainsi François D’Haene et Kilian Jornet au nombre de victoires sur l’épreuve phare.
Véritable coqueluche d’un public qui ne se lasse pas de le voir franchir la ligne d’arrivée, le Jurassien, qui peut se vanter d’avoir remporté toutes les épreuves de l’événement (OCC, CCC, TDS et UTMB), était forcément très attendu cette année sur l’UTMB, son parcours de prédilection, 171 km, 10 000 D+. Las, la maladie de Lyme, qui l’affecte depuis 2020 aura eu raison de lui. A quatre semaines du top départ, le 29 juillet dernier, l’athlète de la team On, 34 ans, annonçait donc qu’il jugeait plus prudent de se retirer de la course prévue le 28 août. La mort dans l’âme. Après deux ans de hauts et de bas, 2022 devait en effet marquer son grand retour, aux côtés de Kilian Jornet et Jim Walmsley – un plateau exceptionnel cet année. Déception du public. Et plus encore de Xavier, on l’imagine.
Reste qu’en attendant des jours meilleurs, l’ultra traileur est beau joueur. Il est donc présent à Chamonix cette année, notamment pour des conférences, curieux de « découvrir l’envers du décor ». Pour Outside, il est reparti sur les sentiers de sa mémoire, s’arrêtant sur les passages clefs de l’UTMB. D’incontournables segments d’une beauté saisissante, mais aussi des passages ardus baignés de souffrance et de plaisir. Son parcours à lui, subjectif, forcément.
La montée des Houches : juste avant d’entrer dans la nuit
Au départ de Chamonix, c’est toujours l’émotion, mais très vite on est sur la partie la plus aseptisée, la moins cool : du macadam, des choses urbaines, on ne s’évade pas vraiment. Mais à partir de Notre Dame de la Gorge, on entre dans la nuit, les premières difficultés arrivent, on est dedans et le public est là, avec une ambiance « Tour de France » ! Frontales, chemins blancs, alpages et singles en terre, on a comme un air de Corse sur ce terrain mixte où la sensation de vitesse est différente de celle qu’on peut ressentir de jour.
La descente des Chapieux : ludique
Rivières, chemins sinueux pavés d’ardoises, j’aime ces beaux virages, où tu cours comme on slalome à ski. Mais mouillé, ce passage peut être un peu technique.
Col de la Seigne : en répères, les frontales
Ce n’est pas le passage le plus intéressant, vu le macadam, et de jour il peut paraître long, mais de nuit, ça va, d’autant que c’est le seul endroit du parcours où tu peux te situer par rapport aux autres, vu les frontales que tu peux clairement distinguer dans l’obscurité.
Dans l’ultra, on sait qu’il faut se détacher de la compétition, sinon tu ne finis pas. Mais à un moment, c’est important de se situer dans la course, c’est assez excitant. Je me souviens qu’en 2015, j’étais en tête à la montée des Chapieux, c’était la pleine lune, et par jeu, j’avais éteint ma frontale, histoire de disparaître aux yeux des autres, pour me marrer et brouiller un peu les pistes. J’ai le souvenir d’un moment assez exceptionnel.
Après, tu redescends vers le côté italien et tu bascules vers le lac Combal où se reflètent les étoiles. C’est encore la nuit, les alpages sont trempés de rosée, il faut faire gaffe car la descente est bien technique.
Le Grand col Ferret au lever du jour : je pourrais faire l’UTMB rien que pour ce moment là !
C’est mon passage préféré, le plus haut du parcours, sauvage. Face au mont Blanc, on pourrait tendre le bras et toucher les montagnes. J’y ai tout vécu : le brouillard, des levers de soleil extraordinaires, mais je m’y suis bien caillé aussi, j’en ai bien chié, notamment en 2017.
Après, tout bascule, ça déroule bien, les kilomètres défilent. Et quand, enfin, je vois toute la vallée de Martigny, je sais qu’on n’est plus très loin, qu’on est presque arrivés à Chamonix et ça fait du bien au moral car après tu vas souffrir, ça peut faire mal aux cannes sur les gros chemins de 4×4. Alors, c’est l’ambiance qui va te faire avancer.
Le Col des Montets : piocher dans le mental, jouer la course
Là, tu souffres, mais tu sais que tu tiens le bon bout. A ce stade de la course, arrive le moment où tu dois jouer un peu la stratégie. En ultra, il faut savoir débrancher, mais pas que. Quand on part sur 170 km, si on démarre tout de suite en mode gagnant, si tu commences à puiser trop tôt dans ton énergie mentale, tu vas vite te mettre dans le dur. Et du coup, ça risque d’être très dur sur la fin. L’énergie mentale est difficile à jauger, mais il faut savoir se décontracter, s’amuser avec les potes sur le parcours. On sait que sur ce type d’épreuve, on perd l’énergie physique mais pas la mentale. En fait, il faut arriver à lâcher prise sur les trois-quart de la course, avant de puiser dans le mental. C’est assez naturel pour moi, mais de plus en plus difficile au fil des années, vu mon statut de favori. Alors, il faut se rappeler pourquoi on est là : se faire plaisir, faire cette boucle qui me donne des étincelles dans les yeux, découvrir des endroits, partager de bons moments avec les copains.
La Flégère : Comme une envie de dire merci !
A ce point, tu sais que c’est presque bouclé, tu n’as plus que 45 minutes de descente, assez ludique avec beaucoup de petits singles. Puis tu as les seuls deux kilomètres où t’es heureux de voir du macadam ! C’est l’arrivée, c’est la fête, un moment toujours hyper émouvant où on a envie de remercier pour tout ça.
Trois questions à Xavier Thévenard
Tes 3 moments les plus forts vécus sur l’UTMB ?
– 2013 : Bertone et Grand Col Ferret : je suis 3e, derrière Miguel Heras et Anton Krupicka. Un temps j’ai cru que c’était cuit, mais j’ai fini devant !
– 2015 : dès le passage de Champex-Lac, j’étais tellement bien, en état de flow complet, et tous les copains m’attendaient en bas.
– 2019 : l’arrivée à Chamonix, où je me verse un peu d’eau sur la tête. Ma revanche sur ma mésaventure de la Hardrock 100 (ultra US où, alors qu’il est largement en tête, Xavier Thévenard est disqualifié pour avoir accepté de l’eau en dehors des ravitos officiels, ndlr). Sur l’UTMB, j’avais préparé mon coup et pris de la flotte au passage dans une de mes flasques dans l’idée de m’arroser et de montrer que ce n’était pas une gorgée d’eau qui faisait la différence !
Tu as tout connu sur cette course, qu’est-ce qu’il te reste à y vivre ?
Une arrivée à 2 ! Ou une 3e place. Car juste finir l’UTMB, c’est déjà une belle satisfaction. En 2019, j’étais 2e et tellement content.
Qu’est-ce qui fait ta force ici ?
La longue distance. Et puis surtout, cette course me fait super envie. Envie de partager et de faire un beau truc. Envie de faire la fête, et de se détacher de la compétition. Envie de bien faire, d’y voir mes parents, mes copains. L’UTMB, j’y suis un peu chez moi !
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